- Etan! Reste pas planté là, le pain se fait pas tout seul!

C'est vrai, le pain ne se faisait pas tout seul. Son boulot, c'était de préparer la pâte. Avant l'aube, jusqu'à l'après-midi. Un boulot harassant. Charger les sacs de farine, la mélanger à l'eau, pétrir, encore pétrir, et encore. Le patron et son fils se réservaient les taches les moins ardues, comme le façonnage ou l'enfournage. Et même si le goût du pain dépendaient en bonne mesure du pétrissage, c'était évidement le patron qui en remportait tout le mérite. Mais qu'importe. Le monde était ainsi fait. Il s'en foutait pas mal. C'était juste un boulot pour manger et avoir un toit. Il dormait sur place, dans la cave, entre les sacs de farine et ceux de sel. Une cave sans fenêtre, sombre, noire comme la mort. Il s'y sentait comme chez lui. Les ténèbres ne l'effrayaient pas. Il les avait côtoyé trop longtemps. Il avait appris à apprivoiser cette peur inhérente à l'homme. De toute façon, il revenait de l'enfer même.
5 ans plus tôt, lorsque le district de Shiganshina et le mur Maria tombèrent, Etan arriva dans l'enceinte du mur Rose parmi les réfugiés. Son esprit vif ne tarda pas à l'inciter à la survie, sachant par expérience qu'en cas de besoin l'homme était un loup pour l'homme. La pénurie sévissait et il faisait partie des hommes excédentaires. Fallait pas être un génie pour se rendre compte qu'il avait toutes les chances de se faire embarquer dans une mission suicidaire. Il ne s'était pas sauvé pour courir se jeter dans la gueule du loup, ou des titans. Quelles options lui restaient-il? L'armée? No way. Obéir? ça c'était fini! Puis depuis quand l'armée était aussi désespérée pour engager des mutilés de l'oralité? Non, il y avait certainement des centaines d'imbéciles prés à donner leur misérable vie pour des idéaux à la con. Non, le seul idéal qui comptait pour Etan était sa vie et sa liberté. Alors quoi? Il lui fallait un boulot, un toit, faire profil bas. Et en passant le mur Rose devait regorger de gens à la compassion mal placée facile à manipuler. Après plusieurs essaies, des semaines d'errance, il repéra la famille du boulanger. Bonne réputation, artisans à succès, coupables de connaître le bonheur dans un monde qui part en couilles. La cible idéale. Il fit son show, quel magnifique acteur, simuler le choc émotionnel c'était si plaisant. Les larmes qui sortent à volonté après avoir connu bien pire. D'avoir été la proie des humains, l'esclave de ses congénères. Simuler avoir tout perdu par la faute des titans était un jeu d'enfant! Il inventa une histoire bidon, reprise ci et là de ce qu'il avait entendu parmi les réfugiés. Une soeur, une mère, mangée, déchiquetée entre les dents des titans. Oh pauvres chou, au moins ils ont eu quelqu'un à perdre!
Et cette famille qui n'avait connue que la sûreté du mur Rose tomba dans le panneau avec une facilité déconcertante. Que les humains sont naïfs.
Mais le voilà sain et sauf. A l'abri dans une cave, aussi sombre que son coeur.
Les titans? Il lui rendirent la liberté. L'attaque qui décima l'humanité après 100 ans de protection fut une aubaine pour lui. Il observa attentivement, avec plaisir, avec joie, son maître se faire attrapper, crier, supplier, et se faire finalement croquer! JOUISSIF!
Depuis ce jour là il arrêta de se sentir coupable de haïr l'humanité. Les titans faisaient subir à tous ces imbéciles ce qu'il avait si souvent vécu. Les coups et les abus qui ne cessaient, les cris muets que personne n'écoutait. Quel mal il y avait à souhait que l'humanité connaisse ce que c'est que d'être traqué, piégé, abusé.
Cependant, même s'il exultait à l'idée même que l'humanité se faisait tuer à petit feu, Etan préférait ne pas se frotter à ces prédateurs. Il ne voulait pas spécialement mourir. Il avait un tout autre but dans la vie. Il n'avait aucun souvenir d'avant ses 12 ans. Son premier souvenir date du jour où il s'est fait vendre par un homme, peut-être était-ce son propre père? Il voit encore ce visage heureux, ces yeux fixant les liasses de billets obtenues en échange du corps d'Etan. Il le voit prononcer des mots qu'il n'entends pas et le voit sourire encore. Il le sent lui ébouriffer les cheveux avant de partir sans se retourner. Il s'est juré de lui arracher son sourire à la con. Il s'est juré de le trouver, de le tuer, aussi lentement que sa rage puisse le torturer. Il s'est juré de lui faire payer les liasses de billet qu'il a reçu en échange de son corps. Et avant ça, il ne compte pas mourir.