Un bureau et une chaise se tiennent contre le mur d'une pièce carrée, plongée dans la pénombre. La pénombre totale. Un faisceau de lumière blanche rentre soudainement dans cette pièce. Une silhouette entre, cachée par le faisceau de lumière. La porte se referme, seule la lumière d'une bougie persiste. La silhouette, se dirige jusqu'au bureau et pose la bougie. Elle s'assoit, la lumière découvre un visage androgyne à la chevelure blanche, celui de Wade. Il tire d'un tiroir un petit carnet. Wade ouvre le carnet tournant les pages une à une. Plusieurs phrases sont inscrites, avec un nom, un lieu. Ces phrases font remonter divers souvenirs à Wade, lui arrachant un sourire nostalgique. Il se souvient de son enfance, celle d'un gamin ayant grandi dans le district de Shinganshina, avec un père vivant de petit boulot et une mère dans la garnison. Bien que les Nux n'eurent qu'un seul enfant, Wade a grandit avec une sœur adoptive, avec qui il avait déjà fait une demi-douzaine de fois les fameux quatre cent coups. Wade souffla du nez, il venait de lire une réplique de sa sœur.
« De toute façon, t'es pas mon frère. »
Liesel, à moi. Shinganshina.
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Le bruit de l'eau s'écrasant dans celle d'une fontaine. Celui des pas de deux enfants se courant après, celui de leurs cris. Les deux rejetons Nux étaient en train d'arpenter les rues de Shingashina, la petite Liesel devant, Wade juste derrière, menaçant qu'il allait l'attraper. Au détours d'une rue, Liesel changea de direction pour mettre un peu plus de distance entre elle et son frère. La ruelle dans laquelle elle venait de rentrer était assez étroite, le soleil s'y engouffrait assez difficilement, donnant un aspect assez sombre à ce coupe-gorge. Les deux enfants semblaient affectionner ce genre d'endroit, car, c'était souvent ici que leur mère, venait les chercher. C'était d'ailleurs un des seuls moments où elle se servait de son équipement, inspecter les interstices entre les maisons à la recherche de ces deux têtes innocentes.
Liesel se cacha derrière une poubelle, relativement imposante. Elle entendit son frère entrer dans la ruelle, il commençait à fatiguer, sa course faisait plus du bruit. Se servant des bruits de ses pas comme repères, elle inspira, puis tendit son pied d'un seul coup, Wade passa à ce moment-là. Son pied se coinça sous celui de sa sœur adoptive. Il s'écrasa brutalement au sol, son front le frappa de plein fouet, ce qui ne manqua de le gratifier d'un horrible mal de tête. Ça ne l'empêcha pas de se retourner vers sa sœur, du sang plein le front.
- Je ne t'ai pas fait mal ?Sa sœur soupira d'exaspération, et reprit son chemin. Wade se releva, se tenant le front, avec une mine d'incompréhension.
- J'ai fait quelque chose de mal ?Liesel se retourna vers lui.
- Arrête de me coller !- Mais on s'amusait bien pourtant...Elle tourna le dos une fois de plus à son frère, qui, ne comprenant toujours pas, lui attrapa la main. Elle le repoussa en lui crachant les premières paroles blessantes qui lui vinrent.
- De toute façon, t'es pas mon frère.Puis elle repartit, laissant Wade seul. Toujours plongé dans l'incompréhension. Liesel avait été adoptée par les Nux quelques années après la naissance de Wade, qui avait toujours été seul, trop bizarre pour les enfants de son âge, ses parents trop absents pour s'occuper de lui, il s'était créé un petit monde à lui, jusqu'à ce qu'elle arrive, là, il avait voulu l'intégrer à son imaginaire, le partager avec elle. Au début, ils s'amusaient bien, mais quand Liesel fut en âge de comprendre qu'elle n'était pas la sœur biologique de l'albinos, elle se mit à éprouver une certaine haine pour son frère. Surtout à cause du regard du père sur son fils. Elle avait l'impression que le fait qu'elle ne soit sortit du ventre de sa mère, ne la rendait pas légitime aux yeux de son père.
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Wade souffla de nouveau du nez en regardant cette phrase. Ses yeux parcoururent la page, jusqu'à trouver une nouvelle phrase.
« -Dis, tu te laves les dents ? Tu oublieras pas de le faire quand je serai dans ton ventre, hein, promis ? »
Après la destruction du mur.
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Aujourd'hui était un grand jour pour Alfred Nux, partit pour l'enceinte du mur Rose dans la matinée, il allait avoir droit à une prime conséquente qui permettrait à la famille de vivre un peu plus facilement. Ce qui impliquait donc que Martha Nux était forcée de s'occuper des deux enfants pour la journée. Par chance, ils avaient trouvé de quoi s'amuser dans une fontaine. Avec des bâtons, ils s'amusaient à croiser le fer tel des guerriers médiévaux. Wade faisait attention de ne jamais trop prendre le dessus, quant à Liesel, elle n'hésitait à taper franchement contre la peau de Wade.
Pendant de ce temps Martha discutait avec un de ces collègues. Qui se trouvait être un homme de la même tranche d'âge qu'elle, la surpassant d'au moins une tête, il avait une carrure assez imposante sans trop exagérer, des cheveux bruns plaqués en arrière et un visage inspirant la confiance. Tout ce que n'avait pas le père de Wade. À en voir le sourire et les pommettes presque écarlate de Martha, aucun doute qu'elle en pinçait pour lui et c'était totalement réciproque. Leur discussion tournait autour de fait, qu'en effet, son mari ne le serait bientôt plus. Ils cessèrent de parler de ça quand ils entendirent Wade venir en sautillant, la bouche en cœur.
- Mamounette ?Elle se tourna vers lui, avec un petit sourire. Elle aimait cet enfant, bien qu'elle était exaspérée par sa nature relativement insolente et le faite qu'il ne comprenait pas qu'en ne ménageant pas ses propos, il blessait les gens, comme sa sœur. Il restait de sa chair et un enfant, il allait apprendre.
- Mamounette, c'est quoi le gros truc là-haut ?Elle leva la tête et écarquilla les yeux.
- COURREZ VERS LE MUR ROSE ! C'EST UN TITAN !Ses paroles percèrent la foule, la seconde d'après une foule paniquée obéit à l'ordre. Wade regarda autour de lui, il ne voyait plus sa sœur. Il se tourna. Sa mère le rattrapa.
- Non ! Va t-en !- Mais Liesel est...- Je vais la chercher ! - Mais maman, elle va m'en vouloir. - Je lui expliquerais ! Vite ! Gerald, accompagne-le !Il hocha de la tête et attrapa Wade par le bras. Trop faible pour résister, Wade se laissa emporter par l'homme de la garnison en regardant par-dessus son épaule sa mère disparaître dans la foule. Il sentit son ventre se nouer, sa gorge aussi, un frisson le parcourra de la tête aux pieds. Ses jambes s'affaissèrent, il tomba, à genoux, haletant, pour la première fois de sa vie, il avait peur. C'était la première fois qu'un sentiment se faisait aussi présent. Gerald lui cria des choses, mais il n'entendait rien d'autre que les cris et la course des gens, ainsi que des hurlements inhumains. Soudainement, il quitta le sol. Gerald venait de le prendre sur ces épaules, n'étant pas bien lourd, le soldat put dégainer ses gâchettes à grappin, il cria à l'enfant de s'accrocher et ils furent tirés dans les airs.
Wade fut fasciné par ce qui arrivait, il n'en revenait pas. Il était en train de voler. C'était vraiment incroyable. Les gens défilaient sous leurs pieds, il en oublia presque sa peur. Malheureusement, ça ne dura pas, ils se posèrent à quelques rues des bateaux qui faisaient embarquer les réfugiés. Wade se tourna pour voir ces géantes silhouettes tout détruire, son regard se fixa sur un des titans en train de dévorer une femme, tout ce sang, toute cette violence. Il sentit quelque chose naître en lui, non pas de la haine, non pas de la compréhension, juste un désir d'y participer. Pendant sa réflexion, Gerald avait essayé de communiquer, sans grand succès, mais des pas lourds ramenèrent les deux personnes à la réalité. Un titan de huit mètres se dressait devant eux, son regard était glacial, ses lèvres formaient un sourire atrocement inexpressif.
Gerald poussa Wade en arrière.
- Cours gamin ! Je le retiens !C'est à ses mots qu'une ombre trancha la nuque du titan. La mère de Wade arriva devant eux, avec Liesel. Le cœur du jeune garçon fit un bond, il courut vers sa famille et la serra contre lui. Martha lui toucha la tête.
- Allez, vite, nous, on les retient !Ils hochèrent tout deux la tête et se mirent à courir. Jusqu'à ce qu'un déviant vienne leur barrer la route. Wade accéléra, prit sa sœur sur les épaules et passa sous les jambes du titan, il projeta Liesel en avant.
- Le premier arrivé mangera la dernière part de tarte !Une main s'abattit sur le sol, faisant craquer le sol et virevoltait le jeune garçon. Il se mit à rire.
- Je vais l'avoir si tu ne cours pas !Liesel écarquilla les yeux, et fini par se mettre à courir, au moment où le titan attrapa Wade.
- Dis, tu te laves les dents ? Tu oublieras pas de le faire quand je serai dans ton ventre, hein, promis ?Il était en train de parler à ce titan d'un air parfaitement naturel et enfantin. Des hommes de la garnison apparurent et lacérèrent la nuque du titan, Martha fondit vers son fils pour le récupérer. Se préparant à le sermonner, le bruit de quatre titans qui déboule de nulles parts la coupa net dans son élan. Gerald dégaina.
- Garnison, nous devons protéger les habitants ! En avant !Sept hommes de la garnison fondirent vers les titans. Martha embrassa le front de son fils et partit à l'assaut. L'enfant cligna plusieurs fois des yeux. Jusqu'à se retrouver dans une maison détruite. Les vêtements couverts de sang et ayant frôlé la mort déjà trop de fois, sa mère de dos, s'empressa de sortir de la maison.
- Gérald ! Gérald !Wade avait eut l'impression de perdre connaissance, sûrement sous le choc. Pendant ce temps, seul deux personnes de la garnison avaient survécu, sa mère et un lieutenant. Wade, n'arrivait pas à comprendre pourquoi sa mère, en sanglot, criait le nom de ce monsieur. Il comprit en sortant et en voyant les cadavres d'humain et titan joncher le sol. Il suivit sa mère instinctivement, qui espérait désespérément de retrouver son amant. Elle se figea.
- Ma... Mar... Martha...Une moitié d'homme se tenait dans une petite ruelle, il avait été arracher en deux et jeté. Martha se précipita vers lui, Wade avança timidement.
- Non-non, ne parle pas, ça va aller, tu peux t'en sortir !
- Ton … Ton fi... fils... il ….
Il vit Wade et un sourire se dessina sur son visage.
- Il a survécu...Dit-il avant de laisser tomber sa tête. La femme fondit en sanglot, son fils s'approcha, prit sa main.
- Maman, faut qu'on rejoigne papa et Liesel, les grands méchants arrivent.Elle releva la tête vers son fils, une expression de haine sur le visage. S'il n'avait pas été là, elle aurait pu travailler en équipe avec son amant et… S'il avait compris ? Elle se releva, le prit dans ses bras et planta son grappin de toit en toit. Arrivant devant les bateaux d'évacuation, elle fendit la foule et donna son fils à un homme de la garnison, qui en voyant son visage, eut instinctivement une expression de compassion, il le mit dans le bateau. Wade tendit sa main, Martha lui lança un regard et se tourna vers la foule qui criait au scandale, dégainant ses lames, elle cria à son tour sur la foule.
- Des gens sont morts pour vous ! Tous mes amis ! Parce que c'est notre devoir ! Protéger des inconnus, alors, laissez-moi sauver mon fils.Elle craqua de nouveau en repartant dans les airs. Sous l’œil enfantin de Wade.
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Cette fois ci, son sourire s’effaça, il laissa ses yeux aller trois phrases plus tard. Il savait à quoi ça correspondait. Il lu, avec la peur de se rappeler de la suite.
« Papa, je ne comprend pas. »
Moi à papa, Mur Rose.
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Après l'attaque des Titans contre le mur Maria, la famille Nux avait fini par se réunir dans un lotissement pour réfugié. Martha était revenu du mur, en vie, mais avec le visage sombre, forgé par la haine et le dégoût. Le père de Wade, n'était déjà pas un homme bien grand, il restait silencieux derrière sa barbe. Il était ce genre d'homme qui encaissait malheur sur malheur, mais ne se plaignait pas. Arborant toujours une mine entre la tristesse et la préoccupation, il ne faisait rien d'autre que de boire et d'oublier ses problèmes dans les stupéfiants. Cela faisait un an que Martha en avait assez de devoir traîner cet homme, les événements récent allaient mettre une fin catégorique à tout ça.
Les deux enfants était assis côte à côte, juste devant la table où leurs deux parents se disputaient. Si on pouvait appeler ça une dispute. Alfred encaissait tout ce que disait Martha, qui s'en donnait à cœur joie, crachant le reste de sa haine sur son ex mari. Ce dernier, d'un air triste et embêté baissait la tête.
- Et quoi ? Tu ne réponds pas ? Tu n'as jamais été qu'un boulet, à toujours dire que l'armée est remplie de con, toujours dire que ce sont des profiteurs, j'y aie rencontré un homme que te surpassait largement !Alfred releva sa tête soupira un peu, posa ses yeux sur Martha.
- En attendant, je suis en vie. Plus pour longtemps, certes. Et, je crois bien que ce n'est pas la garnison qui changera quelque chose.Le visage de la femme se disloqua, c'en était trop de cette suffisance, de cette pseudo-supériorité intellectuelle, elle se déchaîna.
- TU N'ES QU'UN SALOP ! JE TE SOUHAITE DE MOURIR DANS LA MISÈRE AVEC TON SALE GAMIN DÉBILE !Alfred écarquilla les yeux. Il serra son poing et le projeta contre la table, la femme s'arrêta. Le visage du père était expressif, et ça, ça faisait un choc, il y a au moins quinze ans que ce n'était pas arrivé.
- Ne dis plus jamais ça, devant notre enfant.Elle lui jeta un regard méprisant puis s'approcha de Liesel et lui tendit sa main.
- Dis adieu à ton frère, on s'en va.Wade regarda sa mère puis sa sœur, une tristesse mêlait à l’incompréhension totale de se qui venait de ce passer pouvait se lire dans ses yeux. Sa sœur se leva mollement, il releva la tête vers sa mère, elle plongea son regard dans le sien.
- Je ne veux plus jamais vous revoir, toi et ton père.Puis elle tira Liesel avec elle vers la sortie. Wade se leva, et fit quelques pas en avant, totalement déboussolé, il s'arrêta à quelques mètres de la porte où sa mère et sa sœur venaient de disparaître. Son père ne voyait que sa silhouette se détachait des rayons du soleil.
- Papa...Il renifla.
- Papa, je ne comprends pas.Il se tourna vers son père, des larmes avaient coulé de ses yeux. Le père de Wade se leva, posa un genou à terre, et prit son enfant dans ses bras le serrant de toutes ses forces.
- Je te promets que je serais toujours là, on s'en sortira... ensemble.C'était la première fois qu'il voyait son fils pleurer depuis ses quatre ans.
C'était la première fois que son père le prenait dans ses bras depuis sa naissance.
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Wade se racla la gorge, il renifla et d'un revers de main, s'essuya les yeux. La prochaine fois que des larmes s’échapperait de ses yeux ce serait de joie, quand il reverrait sa sœur. Il déglutit et reporta son regard sur son carnet. Il tourna quelques pages pour s'arrêter et lire une nouvelle phrase, qui lui inspirait des choses plus heureuse.
« Hey, une valse, ça te dit ? »
Moi à un soldat de la garnison. Mur Rose.
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Un an et demi après l'attaque des titans, la population souffrait toujours. C'est pour ça qu'il fallait lui remonter le moral. Avec quelques petites aides chimiques, et bien sûr, l'armée faisait sa pucelle effarouchée. Si chevalier servant il y a, il faut forcément des malfrats. Ce qu'étaient ces trois jeunes personnes de presque treize ans, portant des écharpes et des vêtements sales. Deux demoiselles et un jeune homme. Ce dernier était assez long, surplombant les deux demoiselles d'une demi-tête, ils étaient tous trois forgé de la même façon, squelettique. Une mèche blanche pendait du bandana du jeune garçon, ses yeux rouges brillaient en recevant les doux rayon du soleil. Et on dit coucou à Wade.
Une des filles possédait de longs cheveux roux cachés par un bandana noir et des vêtements larges. Elle portait un sac en toile sur son épaule. L'autre fille avait le crâne couvert d'un bandana jaune également. Ses vêtements étaient plus clairs, mais la crasse les aurait presque rendus aussi sombre que ceux des deux autres. Le jeune faisait les cent pas, de manière caricaturalement artistique, il s'amusait à sautiller sur les pavés de la rue en ricanant. Les deux filles pariaient sur le moment où il allait se casser la gueule.
Des pas brisèrent leur moment de rigolade. Un homme bien plus grand qu'eux, s'emmitouflant dans un manteau noir s'avançait vers eux. Des mèches de cheveux noirs lui tombaient sur le visage. Wade fit deux grands pas vers l'homme et tendit sa main pour l'arrêter.
- Venez donc me baiser cent fois charmante...L'homme compléta.
- La jeunesse est une étoffe qui ne peut durer.Wade tira son écharpe vers le bas et fit un sourire, il tendit sa main à la jeune fille qui tenait le sac, elle lui donna, il le pointa vers l'homme, c'est alors qu'une des filles poussa Wade sur l'homme, qui fut surprit par l'action. Puis par l'adolescent qui lui faisait à présent des yeux de biche, une grasse liasse de billets fut glissée dans la poche de Wade. Il recula alors, faisant un signe aguicheur à l'homme.
- Elles doivent encore m'apprendre à me servir de ma langue, la prochaine fois, je te montre, trésor.Le groupe ricana et repartit dans la direction opposée à l'homme, Wade s’appuya sur les épaules des demoiselles et commença à faire de la balançoire humaine.
- Oh oui ! Plus haut ! Jusqu'aux septième ciel !- Tu n'as pas idée.Répliqua la jeune fille au bandana jaune alors que la deuxième lui plaqua sa main contre le fessier. Wade se raidit, il prit une mine effrayée et les regarda.
- Oh non ! Elles vont aspirer mon petit oiseau !Elles se mirent à rire diaboliquement et lui fait mine de gémir. Jusqu'à ce qu'un cri à leur égard raisonne. Ils se retournent, deux hommes de la garnison avançaient vers eux. Wade élança ses mains vers les petites bosses situées sur le torse des demoiselles.
- C'est vous les chats !Lança-t-il avec un soupçon de malice avant de fuir dans une ruelle, suivit de ses comparses qui n'arrêtaient pas pour autant de ricaner. Ceux qui ne ricanaient pas, c'étaient les deux hommes de la garnison. Ils se lancèrent à leur poursuite en leur criant de s'arrêter. Le groupe se sépara, Wade continua tout droit, les deux filles s'engouffrent dans une autre rue. C'est un homme d'une trentaine d'années qui poursuivit Wade, une calvitie naissante se distinguait sur le haut de son crâne, une barbe de trois jours lui décorait le visage, il avait un corps athlétique que l'âge tentait de rattraper. Il cria encore au fugitif de s'arrêter, à sa grande surprise, Wade s'arrêta effectivement, il se retourna un grand sourire aux lèvres, lançant sa veste et déboutonnant sa chemise qu'il fit passer sous ses bretelles, un nombre incroyable de couteau y étaient attachés. Il en saisit trois pour chaque main, qu'il coinça entre ses petits doigts agiles.
- Hey, une valse, ça te dit ?L'homme frissonna de colère, il dégaina une lame. Un grand sourire parcourut le visage de Wade. Quelques instants, les lames glissèrent et s'entrechoquèrent jusqu'à ce qu'un peu de sang se mettent couler. L'homme posa un genou à terre, un couteau dans l'avant-bras. Wade recula d'un pas et lui fait un sourire tout à fait enfantin.
- Tu danses bien ! Il disparut dans la pénombre. À pas feutré, le jeune adolescent longea encore un peu le long mur protégeant la ville. Les transactions s'y faisaient toujours assez proche, car il était plus facile d'échapper à la garnison qu'aux brigades spéciales, puis, ce qui venait de se passer était un événement encore assez rare. Bien que leur réputation commençait à grandir, ils allaient bientôt devoir changer d'endroit avec tout ça. Wade arriva finalement à une maison délabrée, dont la charpente était trouée. Seule une pièce à l'étage était utilisable. Le rez-de-chaussée était à peu près en état. Wade ouvrit la porte et se glissa lentement dans cette maison qu'il commençait à considérer comme chez lui.
Le salon était plongé dans la pénombre, les faibles rayons du soleil dévoilaient des meubles poussiéreux et mal rangés. Il continua d'avancer à pas feutré, comme s'il était soucieux de déranger ce qu'il appelait ''le bordel ordonné''. Traversant le salon, Wade s'engouffra dans un couloir, s'arrentant juste avant d'arriver dans l'atelier de son père. C'était une petite salle remplie de fioles en tous genre, de paperasse, de liquides multicolores, de boites de conserve et j'en passe. La tête entre les mains, son père était assis sur sa chaise les coudes sur le bureau. Les deux demoiselles demeuraient silencieuses, relativement gênées. Un sourire se dessina sur le visage de l'albinos, il regagna la porte, qu'il ouvrit discrètement et ressortit.
Une fois dehors, Wade inspira, puis poussa énergiquement la porte qui après son entrée vint se refermer dans un fracas du diable, il sauta sur la table et se mit à brailler.
«
- ESPRITS !
Si tel est votre souhait,
Puisse la faucheuse,
Me serrer, m'étouffer,
Dans une étreinte mortellement amoureuse ! »
Entre-temps, les trois autres s'étaient précipités dans le salon pour voir l'impressionnante prestation criarde de Wade, qui sauta et devant eux, fit une révérence.
- Merci public !Les deux filles eurent un moment de silence puis pouffèrent et applaudirent, le père soupira et repartit dans son atelier.
- Ne me fais plus le coup de faire semblant de mourir !Cria-t-il alors qu'il était déjà dans le couloir. Wade se mit à rigoler, il passa entre les deux demoiselles en leur caressant une joue puis il suivit son papa qui avait déjà regagné son atelier.
-Papouuuuuunet, tu fais du boudin ?-Espèce de p'tit bâtard !Répliqua violemment son père en lui lançant une fiole vide. Alfred ressortit aussitôt de son atelier et plaqua son fils contre le mur, ce dernier se mit à beugler comme un chevalier et lui donna des coups dans le dos. Wade fut jeté contre la table du salon, les deux Nux se lancèrent dans une lutte pleine de cri complètement caricaturés. Les deux demoiselles ne savaient pas où se mettre, mais ne pouvaient s'empêcher de rire tant ils étaient ridicules. Les deux combattants s'arrêtèrent, puis rigolèrent en se regardant. Le père brisa subitement l'hilarité.
- Bon, dégagez, je dois travailler.- Attends !Wade sortit la liasse de sa poche et la lança à son père qui en retira quelques billets qu'il donna aux deux filles, elles le remercièrent et ressortirent de la maison avec l'adolescent. La routine reprenait.
Depuis qu'ils étaient ici, Alfred et Wade étaient devenus très complices, en un an et demi, le père avait rattrapé sept ans d'absence. Il travaillait toujours autant, mais en collaboration avec son fils dans la vente de stupéfiant. Les deux individus profitaient toujours de ces petits moments où ils n'étaient qu'entre père et fils. Quand ils s'assuraient que la marchandise conçue était de bonne qualité par exemple. Mais aujourd'hui, alors que le trio de gamin s'amusaient, le père du garçon était préoccupé. Faire travailler des enfants, il n'aimait pas ça. La prochaine fois serait la dernière.
Il avait un plan pour en finir avec les problèmes d'argents, il pourrait retrouver un travail honnête et vivre tranquillement avec son fils. Il en parlerait avec son fils, pour avoir également son avis sur la chose. Fils, qui était pour l'heure, très certainement en train de jouer aux docteurs avec ces deux amies. Aaaaah. Les jeunes. Un peu trop d'ailleurs.
Mais peut-on vraiment leur en vouloir à ces enfants de vivre dans un monde exclusivement réservé aux adultes ?
Le soir, même, devant une soupe avec plus d'eau que de légume. Père et fils retardaient le plus possible le moment où leur cuillère finirait dans leur bouche, il essayait d'en prendre un maximum pour que ça se finisse plus vite. Alfred brisa le silence juste après avoir pris une grande cuillère de soupe et l'avoir avalée en grimaçant comme s'il avalait de l'huile de tournesol, pur. Il poussa un râle de dégoût et frappa son poing contre la table. Son fils releva la tête, la cuillère entre les lèvres, il aspira la soupe faisant un petit bruit.
- Dans une semaine, on se sort de cette misère ! J'ai trouvé un acheteur qui va nous permettre de vendre vite et de gagner beaucoup ! On pourra se refaire et se sortir de cette vie dangereuse !Son fils avait crié sa joie d'une manière si forte, si sincère, que ça rappela à Alfred la fois où son fils avait pleuré. Le ton de son fils n'était plus simplement celui d'un petit garçon jovial, là, ça venait de ses tripes, ses yeux pétillaient comme des étoiles qui explosent -et sont donc dangereuses mais c'est pour la métaphore.
- Mais pourquoi deux semaines ? Son père inspira longuement.
- On est obligé pour être sûr que personne ne viendra perturber l'échange. Il sera plus long que d'habitude.Wade commença à réfléchir. Puis il se tourna vers son père et sur le ton le plus naturel du monde, il proposa une autre alternative.
- Les filles et moi n'avons qu'à faire diversion.Alfred avala de travers, il toussa un peu avant de se racler la gorge.
- Il en est absolument hors de question, c’est trop dangereux.- Mais papa ! On a l'habitude !
Le reste de la soirée, Wade le passa à essayer de convaincre son père, qui sous la montagne d'arguments, finit par accepter.
Deux jours plus tard, tous étaient prêts. Dans un coupe gorge, le trio d'adolescent était en train de rire. La fille au bandana jaune ne le portait plus, dévoilant un crâne rasé. C'était ce qui faisait son charme. L'autre avait simplement découvert son visage. Quant à Wade qui était encore assis, il avait les cheveux à l'air et la bouche dans son écharpe. Il se frictionnait les mains, pour palier au froid qui régnait.
- Bon, okay Lydia, si je te dis Garnison.- Chiant.- À toi Lucie.- Hmm. Froid.- Ok, euh bah, écharpe ?- Tissu
- Drap.- Lit.- Coït.Grand silence. Lucie et Wade explosèrent de rire, Lydia fit donc de même en grattant légèrement son crâne duveteux, un peu gênée. Plus loin, Alfred attendait devant une charrette, il portait une chaude veste, marron, fermée jusqu'à son col. Il regardait un peu partout, visiblement, il était anxieux. Soudain, une silhouette se dessina, un long manteau, une carrure un peu forte. C'était l'acheteur. Du côté des adolescents, ils entendirent la cloche de l'église sonner. C'était le signal. Tous se couvrirent le visage et sortirent de la ruelle.
Le choix du jour avait été stratégique, cinq ou six rues étaient jonchées d'étalages divers et variés. Ce qui allait leur faciliter la tâche pour leur diversion. Le groupe sortit de la pénombre humide du coupe-gorge et passa devant quelques vendeurs. Chacun jetait des regards aux alentours. Wade repéra des soldats juste en face d'eux. Il regarda les deux demoiselles. Elles acquiescèrent et passèrent devant lui s'engouffrant presque immédiatement dans une nouvelle rue. Quant à Wade, il se laissa submerger par la foule.
- Aux voleurs ! Des voleurs !L'adolescent inspira et vit les deux soldats se précipiter vers la rue que les deux demoiselles venaient d'emprunter. Tout deux fendirent la foule, l'un poursuivit les fugitives, l'autre, se fit faucher les jambes par Wade. L'homme s'écrasa au sol dans un cliquetis métallique. Après ça, Wade rebroussa chemin et courut le plus vite possible dans une rue parallèle à celle que ces acolytes avaient prise. L'avantage de cette rue ? Les bâtiments étaient bas.
Le soldat s'était lancé à la poursuite de jeune garçon, il allait l'attraper, tendant et écartant sa main, il se voyait déjà attraper ce sale gosse. Jusqu'à ce que le gosse en question se baisse et fasse un pas de côté, Wade se jeta au-dessus d'un étalage et se servit de ce dernier comme appui pour sauter sur un muret. Il n'eut aucun mal à se hisser dessus. Il lança un petit signe au soldat et joua le funambule jusqu'à un toit. Il se mit ensuite à courir et passer de toit en toit. Il n'était pas dupe, la garnison avait des équipements tridimensionnels, cependant, il avait plus d'un tour dans son sac. Wade aperçut les deux demoiselles, poursuivit par un autre homme.
Ce monsieur était habitué aux courses-poursuites, il était confiant, de plus ces voleuses de pacotille étaient attendue par plusieurs de ces acolytes. Alors que sa course se faisait de plus en plus énergique, un puissant choc le stoppa net. Wade venait de lui sauter dessus et de s'écraser de tout son poids contre lui. Ainsi, les deux hommes furent mis à terre. Wade se redressa aussi vite que possible, l'homme aurait aimé le suivre, mais une douleur fulgurante lui tirailla la paume, sa main avait été clouée au sol par un couteau. Il était malin ce petit con. Il s'enfonça d'ailleurs dans une ruelle plus exiguë et déserte, qui avait été empruntée un peu plus tôt par les deux demoiselles. Elles y étaient toujours et devant eux se dressait un militaire, Lydia écarquilla les yeux et s'égosilla pour que ces mots parviennent à Wade.
- Police militaire ! Et ça, ce n'était pas bon. Ça allait être plus compliqué qu'à l'origine. Ce qui n'empêcha les deux voleuses d’accélérer leur course. Devant eux, cet homme au cheveu coupé très court et à la barbe hirsute se mit à sourire, dégainant deux lames, il se mit en position de combat. Cette ruelle n'était pas grande en tendant ses bras, il arrêterait les deux gamines d'un seul coup. Le moment arrivé, il fit un pas en avant, elles, sautèrent contre le mur et se servirent de ce dernier pour esquiver les lames en passant au-dessus. Lucie faillit tout de même se faire écorcher, avec une grande chance et un peu de précision, elle tapa le plat de l'arme et put s'enfuir. L'homme se retourna pour tenter de les poursuivre, mais des bruits derrière lui attirèrent son attention, il para de justesse un coup de Wade, qui parvint tout de même à lui inciser la joue avec sa deuxième main. Le militaire fit un pas en avant et repoussa le jeune garçon. Wade fit deux pas en arrière puis se cambra en attrapant deux autres couteaux avec sa main droite, qu'il cala entre ses doigts. Il se redressa d'un seul coup, élevant son bras jusqu'au menton adverse, le militaire projeta son dos en arrière et donna un coup de lame qui déchiqueta les vêtements de Wade. Ne se reposant pas sur ses lauriers, ce dernier fit deux pas et tenta de trancher la poitrine de son ennemi, mais son coup fut dévié par un plus puissant, le couteau virevolta. La contre-attaque ne se fit pas attendre, un coup de lame horizontale faillit ouvrir le ventre de Wade en deux, mais il réussit à être assez rapide pour se décaler, c'était l'ouverture rêvée. L'adolescent prit ses jambes à son cou et traversa la ruelle. Débarquant dans une autre rue, il commença à ralentir, pour tourner. C'est à alors qu'il se retrouva nez à nez avec un homme, à l'apparence étrangement prestigieuse, à genoux, un fusil à la main. Wade tomba à la renverse, les yeux écarquillaient, la bouche entrouverte, un léger filet de bave s'en échappa. Un coup de feu venait de raisonner.