Les souvenirs remontent à présent, c'est long vingt-trois ans après tout. On peut en avoir vécu un paquet de choses, des joies des malheurs, on peut se vanter d'être adulte et de tout connaître de la vie. Bien sûr, ce n'est qu'un ramassis de conneries, le jour et la nuit réservent de nombreuses surprises, qu'elles soient bienveillantes ou sanglantes.

Il pleuvait ce jour-là, un orage de novembre comme tant d'autres. La pluie s'infiltrait par les gouttières usées, répandant son eau croupie sur le sol de cette maison miteuse. Elle était sous la table, et pleurait. Elle avait toujours eu peur de l'orage, vielle phobie infantile. La voilà, jolie tête blonde en train de pleurer sa mère, jurant afin de combler son manque affectif et son besoin de tout foutre en l'air et se lâcher. Sauf qu'elle était grande, treize ans déjà, et toujours en train de chialer pour tout et n'importe quoi. Les hurlements de plaisir de sa mère et le souffle rauque de son père la terrifiait, les murs tremblants aux moindres de leurs faits et gestes. Elle a toujours été une gamine un peu perdue et paumée, à rêver sur beaucoup de choses et s'imaginer des aventures incroyables. Essayant de chanter avec les grenouilles devant la mare près de la maison, cette vielle baraque dégueulasse qu'elle haïssait. Elle voulait se casser, tout oublier et vivre quelque chose d'autre, de plus puissant. Alors c'est ce qu'elle a fait, une lettre et un sac avec une pomme et quelques bouts de gâteaux, et la voilà partie, s'envolant et quittant le cocon familial. Vivant dans les déboires de la cité, ce genre d'endroits où se cachent les futurs bandits, et où grandissent les criminels. Ceux qui tournent mal, ceux qui perdent de vue la lumière de la bonne voie, ils s'égarent dans ce monde étrange et calamiteux. Elle a atterri ici, les cheveux gras et crasseux au possible, couverts de boue avec ses vêtements troués et rapiécés un peu partout. Petite clocharde vivant dans les murs - quémandant ci et là, réussissant à amasser quelques pauvres pièces par l'élan de bonté et de générosité d'une tiers personne. Ils passent, repassent mais le monde continue son chemin. Affamée, elle n'avait plus de raison de vivre hormis celle de regarder les étoiles. C'est beau les étoiles, ces choses brillantes dans le ciel et illuminant le monde de leur lumière faible, à croire que ce sont des bougies tenaces qui ne veulent pas s'éteindre. Oui, tenace comme elle. Elle voulait juste devenir une gamine bien comme il faut, elle ne veut plus raser les murs juste être quelqu'un qu'on aime bien. Des gamins en parlaient, de ci et de là, disant que c'était incroyable là-bas. On devenait fort, pour partir combattre et mener une belle vie pour les plus compétents. De ses prunelles noisettes éberluées de merveilles, elle décida de faire comme ces enfants, bien qu'ayant conscience du risque qu'elle encourait. Elles furent longues ces années, pour une morveuse comme elle, goûter les joies d'un logis et d'une nourriture régulière fut une bénédiction. Elle travailla d'arrache-pied, terminant épuisée dans son lit, touchant à peine l'oreiller que la voilà déjà dans les bras de Morphé. Elle changea, mûrit aussi, et grandit d'une façon bien étrange. La maturité n'est pas quelque chose de très encourageant et de trop agréable, et certaine fois, garder une pointe d'innocence est indispensable. La voilà, terminant sur ce podium, félicitée et récompensée, lui permettant de vivre quelque chose de merveilleux, même si au fond, elle savait qu'elle finirait dévorée, mais elle en avait conscience à partir du moment où elle a eu cette folle idée de s'inscrire dans cet endroit. Brigade spéciale fut son choix, pourquoi ? Elle ne savait pas, elle voulait suivre les autres, ne pas faire des vagues et se fondre dans la masse. Ce corps de l'armée, le plus salopard comme disaient ses amis, mais elle s'en fichait, se disant qu'il s'agissait d'une simple jalousie dû au fait que seule elle avait montré les capacités. Plusieurs années ont passé, et la voilà, cette blonde à forte poitrine regardant encore les étoiles vers minuit, afin de pouvoir les contempler à leur apogée et ainsi vénérer cette beauté et cette majesté. Je ne me suis pas éteinte.